Le contrat de concession exclusive de vente

Mes Marie Lansmans et Thibaut Matray, avocats au barreau de Liège

 

INTRODUCTION

 

En matière de distribution commerciale, l’entreprise a le choix entre différents canaux de distribution pour commercialiser et distribuer ses produits.

 

Exacerbée par les libertés de circulation consacrées par la législation européenne, la concurrence sur le marché des biens et des services est certainement un des facteurs déterminant de la multiplication des stratégies de distribution commerciale.

 

Le choix d’un canal de distribution adapté aux caractéristiques de son produit, sa clientèle et à la structure de son entreprise est essentiel. En effet, ce choix aura des conséquences sur les ventes, les coûts de production et, de manière générale, sur l’activité globale de l’entreprise.

 

Les différents canaux de distribution peuvent répondre à plusieurs finalités : réduire le nombre d’intermédiaires entre le distributeur et les clients, diminuer les coûts ou encore avoir un meilleur positionnement du produit sur le marché. De multiples considérations peuvent ainsi influencer le choix entre l’une ou l’autre forme de contrat de distribution. Parmi celles-ci, nous en relevons quatre : la charge du risque commercial (A), les coûts (B), le contrôle (C) et les modalités de rupture (D).

 

La concession de vente, qu’elle soit ou non exclusive, est une des options existantes. Le présent article a pour objet de brosser un portrait rapide des avantages et les inconvénients de ce mode de distribution, qui figure parmi les plus répandus, notamment dans le secteur automobile.

 

 

  1. LA CHARGE DU RISQUE COMMERCIAL

 

L’entreprise (le concédant) qui choisit la concession de vente comme mode de distribution de ses produits réserve à un distributeur (le concessionnaire), le droit de vendre en son propre nom et pour son propre compte, des produits qu’il fabrique ou distribue. Cette concession peut être assortie d’une exclusivité.

 

Il s’agit là d’une première caractéristique du contrat de concession : le concessionnaire est une entreprise indépendante qui les revend les produits achetés au concédant à sa propre clientèle.

 

A ce titre, le concessionnaire se distingue des autres intermédiaires commerciaux – l’agent par exemple –  par la prise en charge du risque économique lié aux transactions et à la distribution des produits fabriqués par le concédant.

 

De ce fait, bien qu’indépendant juridiquement, le concessionnaire se trouve dans une position de dépendance économique certaine vis-à-vis de son concédant et supporte le risque de mévente des produits achetés.

 

 

  1. LES COUTS

 

Le contrat de concession est avant tout une technique d'intégration économique. En optant pour ce type de distribution, l’objectif du concédant est, souvent, la mise en place d’un réseau de concessionnaires. Il n’y aura que très rarement un contrat de concession unique mais plusieurs contrats conclus avec une série de concessionnaires répartis géographiquement, ce qui assure au concédant un réseau de distribution et donc une meilleure commercialisation des produits dont il entend développer la distribution.

 

Ce réseau, plus ou moins étendu, permet ainsi la création d’une véritable unité économique tout en présentant l’avantage substantiel de limiter l’effort financier. En effet, en contrepartie du monopole de revente dont il bénéficie, le concessionnaire met à la disposition du concédant ses propres ressources humaines et financières en termes d’organisation commerciale, de publicité, d’aménagement des locaux, de financement du stock ou de service après-vente.

 

En outre, contrairement au contrat de franchise, le concédant n’est pas obligé de transmettre son savoir-faire et de fournir une assistance à son concessionnaire, même si, en pratique, certains échanges sont souvent nécessaires, par exemple en matière de service après-vente.

 

L’aménagement de clauses de volumes minimums ou de quotas dans le contrat permet également d’imposer au concessionnaire d’acheter des produits pour un montant annuel minimum déterminé ou à revendre les produits de son concédant pour une fraction déterminée de son chiffre d’affaire.

 

 

  1. LE CONTROLE

 

La concession de vente présente le désavantage, à l’inverse de la franchise, de ne pas permettre au concédant d’exercer un contrôle étroit sur la distribution de ses produits. Ainsi et sauf clause contractuelle contraire, le concédant ne dispose pas d’un droit de regard sur les documents administratifs, commerciaux ou comptables du concessionnaire.

 

Il lui est en outre interdit d’imposer, directement ou indirectement, un prix minimum de revente à son concessionnaire, sous peine de violer le droit de la concurrence. Le concessionnaire bénéficie, à cet égard, d’une plus grande liberté dans la stratégie commerciale qu’il entend suivre et dans la fixation de sa marge bénéficiaire.

 

Il peut également être important pour l’entreprise amenée à opter pour un canal de distribution de déterminer dans quelle mesure il conservera la maîtrise et l’écoulement de ses produits. En effet, le concédant ne jouit pas, en principe, d’un droit de contrôle sur la qualité des produits revendus par le concessionnaire tel qu’il existe dans les contrats de franchise.

 

 

  1. RUPTURE DU CONTRAT ET INDEMNITES

 

En ce qui concerne la résiliation du contrat de concession exclusive, il est nécessaire de distinguer les contrats à durée déterminée des contrats à durée indéterminée

 

Les contrats de concession exclusive à durée déterminée ne bénéficient que d’une protection relative offerte par le droit commun des contrats, à l’égard des abus auxquels la position du concessionnaire l’expose.

 

Les contrats de concession exclusive à durée indéterminée font l’objet, quant à eux, d’une réglementation spécifique insérée dans le livre X du Code de droit économique. Cette législation offre une protection substantielle au concessionnaire en cas de résiliation unilatérale du contrat par le concédant.

 

En premier lieu, le Code prévoit que ces contrats de concessions de vente exclusive à durée indéterminée ne peuvent être résiliés unilatéralement par le concédant, sauf manquement grave dans le chef du concessionnaire, que moyennant un préavis raisonnable ou une juste indemnité en faveur du concédant.

 

Le choix entre le préavis raisonnable et la juste indemnité appartient au concédant lorsqu’il résilie le contrat. Ce choix est définitif puisque la résiliation, une fois notifiée, est irrévocable.

 

A ce titre, le tribunal saisi du litige ne pourrait, une fois  la résiliation intervenue, imposer au concessionnaire, qui réclame une indemnité compensatoire de préavis, une prolongation de ce préavis. De la même manière, le concédant ne pourrait décider de prolonger le délai de préavis pour échapper au paiement de l’indemnité compensatoire pour la durée du préavis complémentaire qu’il aurait dû accorder.    

 

L’objectif du préavis raisonnable est d’octroyer au concessionnaire le temps nécessaire pour réorienter ses activités et trouver une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue. Pour en apprécier sa durée, différents critères sont pris en considération tels que la spécificité de la clientèle, la durée des relations contractuelles, le développement et l'importance du chiffre d'affaire, l'étendue du territoire concédé, etc.

 

La juste indemnité ou indemnité compensatoire de préavis a elle pour objectif de réparer le préjudice du défaut ou de l’insuffisance de préavis. Le concessionnaire doit obtenir l’équivalent de ce qu’il aurait obtenu s’il avait bénéficié d’un préavis raisonnable. L’indemnité sera calculée sur base du bénéfice semi-net défini comme le bénéfice net avant impôt augmenté des frais généraux incompressibles en rapport avec l’exploitation de la concession, ou du bénéfice semi-brut, défini comme le bénéfice brut diminué des frais généraux compressibles liés à l’exploitation de la concession. Les deux méthodes sont censées aboutir à un résultat identique.

 

En outre, l’article X.37 du Code de droit économique reconnaît en outre au concessionnaire, dont la concession est résiliée, un droit à une indemnité complémentaire, indépendante du préavis (ou de la juste indemnité). Cette indemnité complémentaire vise à corriger l’enrichissement que la résiliation du contrat procure au concédant ainsi qu’à réparer le dommage subi par le concessionnaire qui ne serait pas déjà compensé par le préavis raisonnable ou la juste indemnité.

 

Cette indemnité s’évalue en fonction de trois éléments énumérés de façon limitative : (1) la plus-value notable de la clientèle apportée par le concessionnaire et qui restera acquise au concédant après la résiliation ; (2) les frais que le concessionnaire a exposés en vue de l’exploitation de la concession et qui profiteraient au concédant après l’expiration ; (3) les dédits que le concessionnaire doit au personnel qu’il est dans l’obligation de licencier par suite de la résiliation.

 

Enfin, il est traditionnellement admis que le concédant est tenu, en cas de résiliation unilatérale du contrat, de reprendre les stocks encore en possession du concessionnaire à la fin de la relation.

 

 

  1. LE DROIT DE LA CONCURRENCE

 

Tout système de distribution sélective a pour conséquence de réduire, voire d’éliminer la concurrence entre distributeurs d’un même produit. Le contrat de concession de vente n’y fait pas exception. Il contient généralement des clauses, restrictive de concurrence telles des clauses d’exclusivité territoriale, de répartition des marchés, de non-concurrence, etc.

 

Pour cette raison, la Commission européenne a mis en place des règlements tendant à limiter cet effet, en vue d’assurer la possibilité, pour le consommateur final, d’accéder au produit en tout lieu où il est distribué, dans les mêmes conditions que l’acheteur local.

 

 

  1. CONCLUSION

 

La combinaison de ces éléments fait de la concession de vente un système de distribution permettant au concédant de constituer rapidement un réseau intégré de revendeurs indépendants en minimisant les coûts d’investissement.

 

L’aménagement de clauses contractuelles respectant le prescrit légal lui permettra d’aménager son droit de regard sur la distribution de ses concessionnaires. Il aura toutefois égard à respecter le droit commun des contrats, la législation spécifique en matière de contrat de distribution consacrée par le code de droit économique ainsi que la législation européenne du droit de la concurrence.

 

Mai 2017