La cession de fonds de commerce
Me Olivier Robijns, avocat au barreau de Liège
1. La notion de fonds de commerce
Le fonds de commerce peut se définir comme étant l’ensemble des éléments corporels et incorporels qui permettent à une entreprise de capter et retenir une clientèle.
Il comprend par exemple une dénomination ou une enseigne commerciale, le matériel et le mobilier d’exploitation, les contrats en cours, un savoir-faire particulier, une renommée.
Les éléments immatériels sont appelés traditionnellement goodwill.
2. La cession de fonds de commerce
Les parties (vendeur et acquéreur) disposent d’une certaine liberté quant à l’exacte définition de ce qui est vendu.
Le vendeur n’est pas obligé de céder tout ce qui forme le fonds de commerce initial, mais les éléments vendus doivent former un ensemble suffisamment consistant pour continuer à attirer et retenir la clientèle.
La cession d’un fonds de commerce implique, au moins implicitement, une interdiction de concurrence ultérieure dans le chef du vendeur : s’il pouvait continuer la même activité après la cession, il y aurait un risque qu’il continue à retenir sa clientèle précédente, au détriment de l’acheteur.
L’acte de cession peut moduler (dans le temps et/ou dans l’espace) la clause de non concurrence.
Il convient de dresser par écrit la convention de vente entre les parties. Si la cession du fonds de commerce implique la cession d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier (usufruit, droit de superficie, etc), il faut que l’acte soit dressé devant notaire. A défaut, un écrit sous seing privé suffit, mais un écrit est normalement obligatoire, si la valeur du fonds de commerce excède 375 € (ce sera donc pratiquement toujours le cas en pratique).
Le vendeur avisé veillera à inclure une clause de réserve de propriété dans l’acte, jusqu’au paiement intégral du prix de cession convenu (lequel est parfois étalé dans le temps, avec un complément de prix qui peut être lié à la rentabilité future de l’affaire cédée).
3. Opposabilité
3.1. La cession d’un fonds de commerce doit faire l’objet de mesures de publicité spécifiques, à l’égard des administrations fiscales (contributions et TVA) et sociales (ONSS et caisse d’assurances sociales), ce qui justifie d’autant plus la rédaction d’un écrit.
En effet, il existe dans la loi un mécanisme de solidarité (limité au prix de cession) dans le chef du cessionnaire, concernant les dettes fiscales et sociales du cédant.
En principe, la cession n’est opposable aux autorités fiscales et sociales qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à dater de la notification de la cession. Si elle est notifiée le 10 mai, elle n’est donc opposable qu’au 1er juillet.
Le cessionnaire est responsable solidairement avec le cédant des dettes fiscales et sociales existant au jour de la cession, à concurrence des sommes payées avant l’expiration du délai précité. En règle générale, le prix de cession est payable (en tout ou partie) au jour d’effet de celle-ci, de sorte que le risque pour l’acheteur peut être important.
Le seul moyen d’échapper à cette responsabilité solidaire est de veiller à ce que le vendeur sollicite des autorités concernées un certificat attestant de l’absence de dettes fiscales et sociales.
Ces certificats sont valables 30 jours, à dater de leur délivrance. S’il existe des dettes exigibles, le certificat n’est pas délivré et le seul moyen d’éviter la responsabilité solidaire est alors d’affecter le prix de cession au paiement des dettes ouvertes.
Si les certificats sont délivrés, le vendeur doit veiller à notifier la cession aux autorités concernées dans les trente jours.
3.2. Si le cédant et le cessionnaire ont convenu que le second reprendrait les contrats (ou certains d’entre eux) du premier, quelques démarches s’imposent.
En effet, on ne peut imposer aux cocontractants un changement de débiteur. Le cédant reste en principe tenu des obligations qu’il a contractées, et le cessionnaire devra avertir les cocontractants de ce qu’il devient le bénéficiaire des prestations convenues.
Le cédant et le cessionnaire pourront toujours demander aux cocontractants s’ils acceptent de décharger le cédant, et que le cessionnaire devienne leur seul et unique débiteur. Mais rien ne les force à accepter…
En principe, la cession d’un bail (commercial) implique l’accord du bailleur, lequel ne peut cependant pas s’opposer, en principe, à une cession de bail intervenant conjointement avec la cession du fonds de commerce. Reste que même en cas de cession de bail, le cédant du fond de commerce reste tenu avec le cessionnaire, sauf si ce dernier obtient un nouveau bail en direct auprès du propriétaire.
3.3. Pour éviter toute surprise, l’acquéreur doit veiller à ce que le fonds de commerce soit vendu quitte et libre de tout gage (notamment un gage sur fonds de commerce).
Idéalement, l’acquéreur doit veiller à obtenir un minimum d’informations comptables et financières préalablement à la vente, pour s’assurer de la viabilité de l’entreprise et de son état d’endettement éventuel.
3.4. La cession du fonds de commerce peut entraîner l’obligation pour le cessionnaire de reprendre le personnel (ou certaines catégories de celui-ci).
Dans ce cas, la reprise doit se faire dans le respect des droits acquis (ancienneté, congés, salaire, etc), de sorte que, pour les travailleurs, la cession paraisse transparente.
4. Garanties
S’agissant d’une vente, toutes les garanties classiques liées aux ventes sont applicables, en ce compris la garantie d’éviction (permettant de s’opposer à la revendication d’un tiers qui estimerait se trouver propriétaire du fonds de commerce) et la garantie des vices cachés.
Il peut être utile de modaliser ces garanties ou de les limiter dans l’acte de cession.
5. Fiscalité
5.1. Dans le chef du vendeur, le prix de cession du fonds de commerce constitue une plus-value taxable, dont le montant correspond au prix de vente, diminué de la valeur résiduelle des biens vendus.
Si le vendeur est une personne physique qui cesse son activité, la plus-value peut être taxée à un taux distinct, plus favorable que les taux ordinaires à l’impôt des sociétés.
Si le vendeur est une société, la plus-value est taxable à l’impôt des sociétés, mais peut éventuellement bénéficier d’une taxation étalée, en cas de remploi.
Cela signifie que le vendeur doit affecter le prix de vente à l’achat de nouveaux biens amortissables, de sorte que la plus-value sera taxable au gré de la durée d’amortissement des biens achetés en remplacement.
Dans le chef de l’acheteur, le prix de cession doit être amorti. La durée et les taux d’amortissement admis variant selon le type de biens sur lesquels ils portent, il est vivement de conseiller de ventiler le prix dans la convention de cession.
5.2. Pour autant que la cession porte sur un ensemble d’actifs suffisants pour attirer et retenir la clientèle (voir point 1), la vente du fonds de commerce n’est pas soumise à TVA.
Mars 2012